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Interventions dans l'espace public

2009, «Résurgences», HEP, Avenue des Bains 21, Lausanne

Descriptif

Concours sur invitation.

RESURGENCES
«Car l’image n’a pas besoin d’être vue. Ainsi de toutes celles déposées dans les tombes ou de ces galeries paléolithiques, où l’on n’est venu dessiner qu’une seule fois, la mémoire de ce marquage peint devant ensuite suffire.»
Jean-Paul Demoule; «les images sans paroles»; p. 51; In «Destins de l’image»; Nouvelle revue de psychanalyse; N° 44; 1993.

La semaine dernière, dans le train, à côté de moi, j’ai pu voir la mère aveugle fouiller dans son sac de courses et s’exclamer, confuse, à sa fille: «je n’avais pas vu qu’il restait encore un choco dans le sac; excuse-moi; tiens !»
Cet indice me convainc du lien entre voir et savoir. Voir les choses et le monde, c’est en prendre toute la mesure. Mais le visible est un champ bien chancelant et fragile, malgré l’espoir qu’on investit dans la foi en sa stabilité.

«Saunderson (aveugle de naissance) voyait donc par la peau ; cette enveloppe était donc en lui d’une sensibilité si exquise. Qu’on peut assurer qu’avec un peu d’habitude, il serait parvenu à reconnaître un de ses amis dont le dessinateur lui aurait tracé le portrait sur la main (…) »
Denis Diderot; Lettre sur les aveugles.

Les points de départ de l’installation «Résurgences» est qu’autant le Savoir que le Voir sont des réalités fluctuantes, instables, délicates.
Il suffit de penser à tout le champ opératoire de l’image en tant que vision, hallucination, apparition-disparition, trompe-l’œil, mirage. C’est un aspect fondamental de tout un pan de l’histoire de l’image et de la perception qui se joue.

Je suis donc parti de l’hypothèse que l’image, bien qu’étant peut-être là, ne serait pas vue. Parce que n’étant ni signalétique ni ostensiblement éclairée; parce que placée à des endroits improbables.
L’image se trace, se chasse.

Si mon iconographie de l’installation «Résurgences» est en retrait, c’est que ses représentations du savoir le sont aussi. Remises en questions datées (ainsi que l’est leur style graphique). Ici coïncide le Savoir et le Voir: une relation suggestive et non despotique: aucune vérité, seulement des moments extraits de la longue histoire de l’Homme dans sa quête de la compréhension du système du monde et des choses.

Le frottement de l’image-simulacre —intangible— avec l’espace architectural se passe sur le lieu même de l’histoire de ce bâtiment: le grand mur gris de la halle dont des traces attestent d’états plus anciens, de rénovations et transformations diverses. Les images semblent dès lors avoir toujours été là, grises sur fond gris, telles des fossiles subitement révélées entre deux couches sédimentaires. Leur mise à jour est aléatoire, rare, épisodique, fortement dépendante des lumières naturelle et artificielle.

De fait, l’on ne voit pas ces dessins; on les cherche, on se déplace pour en capter les brillances qui les différencient du fond de la même couleur sur lesquelles ils ont été tracés. Cette quête est celle du vrai sens des choses: il s’agit de ne pas se contenter de dire qu’il n’y a rien à voir. Il faut œuvrer à la saisie des tracés et traces.

Robert Ireland; mars 2009